La fiducie testamentaire discrétionnaire et les prestations d’aide sociale et financière

Par David A. Altro & Antoine Brosseau Wery
Le 09 décembre 2014

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Plus tôt cette année, la cour supérieure du Québec a rendu une décision dans l’affaire Québec (Curateur public) c. A.N. (Succession de), 2014 QCCS 616 (CanLII) dans laquelle la cour vient préciser la nature du droit d’un bénéficiaire d’une fiducie testamentaire discrétionnaire.

Le litige se déroule dans le contexte où le bénéficiaire d’une telle fiducie souffre d’une maladie grave s’apparentant à l’autisme, n’a jamais travaillé et a toujours été dépendant de sa mère, jusqu’au décès de cette dernière. En raison de sa condition et de son incapacité à subvenir à ses propres besoins, le bénéficiaire reçoit des prestations d’aide financière de dernier recours et d’aide sociale du ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale (le « Ministère »).

À son décès, la mère du bénéficiaire a créé une fiducie testamentaire discrétionnaire (la « fiducie ») au bénéfice de ce dernier. L’acte de fiducie prévoit cependant un pouvoir discrétionnaire au fiduciaire lui permettant de verser au bénéficiaire les sommes du revenu et capital de la fiducie nécessaires afin de pourvoir aux divers besoins « additionnels » du bénéficiaire. En utilisant le terme « additionnel », la mère du bénéficiaire voulait s’assurer que les versements de capital et revenu reçus de la fiducie n’empêchent pas le bénéficiaire de continuer à être admissible aux diverses prestations d’aide sociale qu’il recevait. Ainsi, une fois les prestations d’aide sociale reçue, le fiduciaire avait le pouvoir discrétionnaire de verser les montants additionnels nécessaires pour combler les besoins du bénéficiaire.

La clause pertinente de l’acte de fiducie se lit comme suit :

« To provide out of the revenue of my Estate and from the capital thereof should my said Executors and Trustees in their sole discretion deem it advisable, such sums as in their discretion they deem necessary, for any additional maintenance of my son, ….,, during his lifetime, including additional provision for education, medical care, residence, companion and such other expenses as my Executor and Trustee shall deem reasonable ; »

Le Ministère, considérant que la fiducie avait une obligatoire de subvenir aux besoins du bénéficiaire, a rendu une décision déclarant celui-ci inadmissible aux prestations d’aide gratuite. Le Curateur public, ayant la charge du bénéficiaire, exige donc du fiduciaire de la fiducie qu’il subvienne aux besoins de base du bénéficiaire, chose que le fiduciaire refuse de faire.

La Loi sur l’aide aux personnes et aux familles, L.R.Q., c. A-13.1.1 prévoit que l’adulte qui reçoit des prestations doit exercer les « droits » dont il peut bénéficier et qui peuvent réduire le montant de l’aide financière. Dans cette affaire, la cour devait donc déterminer si le bénéficiaire avait un droit dans le revenu et capital de la fiducie ce qui dans l’affirmative le rendrait inadmissible aux prestations d’aide sociale. La cour détermine d’entrée de jeu que le bénéficiaire n’a pas de droit réel sur le corpus de la fiducie mais qu’il n’a qu’un droit personnel. De plus, puisque la fiducie est discrétionnaire, le bénéficiaire n’a qu’un droit précaire et éventuel sujet à la discrétion du fiduciaire.

L’un des principes de base du droit des fiducies veut que le droit d’un bénéficiaire soit assujetti aux termes de l’acte créant la fiducie. Dans cette affaire, la fiducie en question prévoyait de manière non-équivoque que le droit du bénéficiaire était d’abord assujetti à la discrétion du fiduciaire et ensuite qu’il ne devait être exercé qu’en complément de l’aide financière reçue par le Ministère. En créant ce type de fiducie, la mère du bénéficiaire voulait s’assurer qu’il puisse bénéficier d’une protection financière additionnelle tout au long de sa vie plutôt que de voir le capital et le revenu de la fiducie diminuer rapidement jusqu’à son épuisement total. Les restrictions imposées sur les distributions de revenu et de capital sont donc parfaitement légales et ni le curateur ni le Ministère ne peuvent exiger du fiduciaire ou du bénéficiaire que des montants supplémentaires soient distribués au bénéficiaire dans le but de subvenir à ses besoins de base et de le rendre par le fait même inadmissible à l’aide financière du Ministère. Les clauses d’une fiducie n’auraient pu être restreintes que dans le cas où elles étaient en contravention à l’ordre public ou aux lois prohibitives, ce qui n’était pas le cas dans cette affaire.

La cour rappelle cependant que bien qu’un fiduciaire puisse détenir un pouvoir discrétionnaire, cette discrétion n’est pas absolue et doit être exercée de manière raisonnable et selon la volonté du constituant de la fiducie. De plus, sa discrétion doit être exercée avec prudence, diligence et dans le meilleur intérêt du bénéficiaire ou de la fin poursuivie par la fiducie. Dans la présente affaire, dans la mesure où ces obligations sont respectées, le bénéficiaire ne peut en réclamer plus au fiduciaire puisque ce dernier respecte l’acte de fiducie et les volontés de la mère du bénéficiaire.

Finalement, la cour fait un parallèle avec les règles de common law applicables dans les autres provinces et reconnaît que bien que les textes législatifs soient différents, les principes sont essentiellement les mêmes tant au Québec qu’ailleurs au Canada. La cour explique comme suit la règle reconnu dans toutes les provinces :

« Le « droit » éventuel et précaire du bénéficiaire d’une fiducie discrétionnaire ne fait pas perdre à ce dernier son droit à des prestations de sécurité sociale auxquelles il a par ailleurs droit en vertu de la loi. »

La cour se justifie également de la décision Thomas v. Director, Employment and Income Assistance Programs, 2013 MBCA 91 (CanLII) de la cour d’appel du Manitoba et conclut que « le bénéficiaire n’a pas véritablement de « droits » dans la fiducie testamentaire discrétionnaire selon le droit civil québécois et, par voie de conséquence, il n’a donc aucun droit à exercer au sens de la Loi sur l’aide aux personnes et aux familles. »

Cette cause démontre l’importance d’une bonne planification successorale et à quel point il est essentiel que les testaments et fiducies soient rédigés minutieusement et par des professionnels afin que vos volontés soient respectées et produisent les effets désirés. Les notaires et avocats d’Altro LLP SENCRL se spécialisent dans la planification successorale et fiscale domestique et transfrontalière et peuvent vous aider avec tous vos besoins en la matière.

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